Petit portrait du penseur "politiquement incorrect", à travers quelques caractéristiques que l'on retrouvera à coup sûr, y compris dans les virulents articles de mes co-auteurs du Prisme:
1. Il se déclare persécuté en permanence: son ennemi phare, les médias, qu'il manipule souvent à la perfection, est le vecteur numéro un de la "bien-pensance". Alors qu'il occupe, voire encombre, les chaînes de télévision, les radios, les tribunes de journaux (encore que cela dépende du niveau intellectuel du penseur en question; le FN n'écrit pas), le penseur "politiquement incorrect" est harcelé, honni, pestiféré, tout cela parce qu'il "dénonce des vérités qui dérangent". Celui-ci serait la victime permanente d'un système dont il jouit avec une maestria sans pareille.
2. Il est de droite dure et obsédé par les tabous. Quand il n'a plus d'idée, il sort des abysses des phrases de comptoir pré-mâchées quelques banalités comme "de toute façon, on ne peut plus rien dire aujourd'hui". La société serait pleine de tabous, de pensées interdites, et seules ses idées, pourtant très répandues, se démarqueraient de la masse en étant "politiquement incorrectes". Pourtant, en écoutant quelques minutes la radio, il est évident que les pensées extrêmes, violentes et virulentes, ont acquis la première place dans le panorama culturel. C'est ce que montre avec justesse Patrick Besson dans sa chronique du
Point du jeudi 12 novembre: les intellectuels de gauche, jadis hégémoniques, ont disparu des écrans radars, sauf à ne lire que
Libération. Les meilleures ventes d'essais politiques sont réalisées par Villiers, Zemmour, Polony, Onfray, etc. Patrick Besson conclut son texte avec humour, en déclarant à propos des intellectuels de droite
old fashion (type Glucksmann): "
Le plus agaçant, c'est d'avoir raison trop tôt".
3. Pas besoin de preuves, de chiffres, de statistiques, ni même de raisonnement s'apparentant de près ou de loin à une démonstration, puisque c'est l'arme de la "bien-pensance". Les références au peuple, à l'immigration, bien que les plus sujettes aux distorsions de chiffres, sont assénées au hasard, toute honte bue, sur les plateaux de télévision. Les phrases suivantes nous viennent d'Eric Zemmour: "
La France est envahie par des bandes de Tchétchènes, de Roms, de Kosovars, de Maghrébins, d'Africains, qui dévalisent, violentent ou dépouillent" puis "
Une population française sidérée et prostrée crie sa fureur, mais celle-ci se perd dans le vide intersidéral des statistiques". Mieux que les études sociologiques compliquées, et ô horreur, pleines de chiffres, il suffit de faire un tour à Aubervilliers pour en déduire que la France est envahie.
Puisque le politiquement incorrect fait office de blanc-seing intellectuel, et que le seul critère pour faire partie du très large cercle des penseurs "politiquement incorrects" est d'écraser toute nuance avec des gros sabots, je vais adopter moi-même ce mode de pensée:
Je ne reproche rien à la personne qui a inventé le terme mais l'usage qui en est fait est lui hautement condamnable: l'expression en a chassé une autre, très usitée dans les médias il y a à peine quelques années: la langue de bois. Il y a toutes les raisons de la regretter:
1. Elle est beaucoup plus amusante et imagée que le très abstrait "politiquement correct".
2. Elle est bien plus précise, puisqu'il s'agit de dénoncer le parler trop conceptuel et vide de sens de nos personnages politiques, c'est-à-dire le jargon administratif qu'ils emploient, surtout quand ils se trouvent au pouvoir (cette tendance est assez révélatrice d'ailleurs).
3. La "langue de bois" ne sert pas à renvoyer au placard toute pensée pas assez extrême, populiste, ou condensée en quelques mots agressifs.
4. Elle ne sert pas de chèque en blanc à tous nos guignols du "politiquement incorrect"; ces derniers, bourrins de la pire espèce, débitent leur philosophie de bistrot sur tous tous les plateaux, Don Quichotte séniles de la politique.
Encore une fois, l'idée présente derrière le concept de "politiquement incorrect" n'est pas ridicule, mais le terme est devenu contreproductif, employé à des fins de néantisation de la pensée et du débat.
P.S. Face aux réactions vis-à-vis de cet article, j'apporte quelques précisions. L'objet de ce pamphlet n'est pas de condamner toutes les utilisations du "politiquement incorrect" mais celles, très en vogue, qui consistent à s'affranchir de penser en rabaissant les autres au rang de "penseurs politiquement corrects". Il est évident que d'autres qualificatifs assénés à la masse comme "réac" ou "bobo" m'énervent tout autant.