En
2007 s'engageait une série de négociations entre l'UE et la Turquie
pour étudier la candidature de celle-ci, qui n'a abouti à rien. Depuis, ces négociations sont au point mort et un rapprochement entre l'UE et la
Turquie semble être une utopie sinon une pure folie lorsque l'on voit
le virage à 180 degrés qu'a pris ce pays. Il y a 10 ans la Turquie était
érigée en modèle des démocraties du monde arabo-musulman: libérale,
flamboyante économiquement, classe moyenne prospère... Aujourd'hui, le
président Erdogan, au pouvoir depuis 2003, s'est tourné vers un régime
autoritaire, conservateur et mène une politique (étrangère et
intérieure) obscure et dangereuse. A force de jouer avec le feu, il
pourrait bien finir par se brûler.
Bien
que récemment conforté par les élections législatives du 2 novembre (
316 sièges obtenues soit 49,3 % des voix) le président Erdogan semble de
plus en plus isolé au sommet de l'État turc.
Lâché
par ses compagnons historiques de l'AKP, qu'il a fondé en 2001, dépités
par sa nouvelle politique, il doit aussi faire face à de nombreuses
contestations populaires (les évènements de la place Taskim en 2013, et
plus récemment la grève général du secteur automobile en mai 2015)
Tous
les manifestants lui reprochent sa politique conservatrice et la
limitation des libertés individuelles que son régime orchestre depuis
2010, alors qu'Erdogan semblait porter un espoir de démocratisation
lorsqu'il arriva au pouvoir en 2003.
Mais alors pourquoi ce changement radical de politique, alors que l'avenir de la Turquie semblait si radieux ?
Tout
d'abord, la Turquie, et Erdogan d'autant plus, ont été vexés, vexés par
les conditions drastiques, mais pourtant logiques imposées par l'UE lors
des négociations. Vexée aussi par la communauté internationale, qui n'a
pas compris son rôle stratégique au Moyen-Orient.
Ajoutez
à cela un Président à l'ambition démesurée qui a peu à peu sombré dans
la folie et la paranoïa, en témoigne son palais ultra-sécurisé, d'une
grandeur digne de Soliman.
Vous
comprenez pourquoi une partie de la population turque, désireuse de
retrouver sa gloire passée, approuve les mesures d'Erdogan quitte à se
priver d'une partie de leur libertés individuelles mais aussi de leur
croissance économique.
Sur
la scène internationale, la Turquie semble aussi se mettre en danger
par un jeu d'alliance pour le moins douteux. Déjà critiqué pour son
autoritarisme, un rapport de l'UE publié en 2015 parle de "graves
reculs" des libertés, le président Erdogan doit aussi faire face aux
reproches sur ses relations troubles avec l'Etat Islamique.
En
effet, le groupe terroriste semble être un allié parfait pour lutter
contre les Kurdes, une minorité ethnique présente aussi en Syrie et en
Irak qui souhaite créer un État indépendant. Comme le dit l'adage "les
ennemis de mes ennemis sont mes amis", Daech est donc l'allié parfait
pour lutter contre les Kurdes, notamment les Pershmergas, les
combattants du Kurdistan irakien. Ainsi, l'Etat turc semble fermer les
yeux voire encourager les actions de l'EI sur son territoire. Il
utilise aussi le prétexte des frappes contre le groupe terroriste pour
lancer des raids aériens contre les positions kurdes. Enfin, la Turquie
semble être le principal acheteur du pétrole de Daech, sa source de
revenus majeure (2,6 milliards de dollars environ), qui est acheté à un
prix bien inférieur à celui du marché à l'EI.
Dans
le même temps, Erdogan nie toute relation avec le groupe terroriste, et
fait même officiellement partie de la coalition qui lutte contre eux.
Des femmes kurdes combattant contre Daech |
Mais
ce double jeu cynique n'est pas sans conséquence, et les effets
néfastes n'ont pas tardé à se faire sentir; les attentats d'Ankara, dont
l'auteur semble vraisemblablement être Daech, ont coûté la vie de 102
innocents.
De
plus, ces tractations avec Daech ont exacerbé les tensions avec les
puissances occidentales, notamment l'UE. Mais c'est surtout avec la
Russie que les frictions se sont accentuées. Elles ont même connu un
point culminant le 24 novembre dernier lorsque l'armée turque a abattu
un Sukhoï russe. S'en sont suivies des dénonciations mutuelles, mais aussi
des sanctions économiques qui vont pénaliser les deux pays, pourtant
liés par de nombreux accords commerciaux.
Finalement, aussi bien sur le plan intérieur qu'extérieur, Recep Tayyip Erdogan
marche sur un fil. Ce numéro d'équilibriste pourrait bien s'achever face
aux contestations de plus en plus vives mais aussi aux problèmes
économiques qui rongent la Turquie.
Le débat sur l'adhésion de la Turquie à l'Europe, déjà tendu et
chaotique il y a quelques années, apparaît maintenant théorique même si de nouvelles négociations sont en cours.
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