« L’argent
ne fait pas le bonheur. Celui qui a dix millions de dollars n’est pas plus
heureux que celui qui en a neuf millions » disait le sculpteur Hobart
Brown. Dans nos sociétés marquées par l’individualisme, faire vœu de pauvreté
semble de plus en plus difficile.
Ce
phénomène illustre la perversion du statut de l’économie, qui est passée du
statut d’instrument au statut de fin en soi.
Glissement
du moyen vers le but
La politique est désormais au service
l’économie.
Pour le
constater, il suffit de s’intéresser au programme de nos hommes politiques.
Que ce soit dans les partis de gauche ou de droite, deux sujets monopolisent
actuellement le champ des discussions : l’économie et la sécurité. Ainsi,
en étudiant les programmes des candidats pour la présidence de la région
Ile-de-France en 2015, on remarque une même préoccupation majeure : Au
sein des douze engagements de Claude Bartolone, la moitié ont directement trait
à l’économie, tandis que le titre de l’ouvrage de Mme Pécresse contenant son
projet pour la région est on ne peut plus clair : Voulez-vous vraiment sortir de la crise ? Et la question
économique restera la problématique majeure de l’élection présidentielle de
l’an prochain, comme le montre par ailleurs la principale proposition du favori
à la primaire des Républicains, Alain Juppé : «je changerai la politique économique ».
Jusqu’au milieu du 17ème
siècle, les rois de France et leurs ministres méprisaient l’économie, et se
contentaient d’utiliser la croissance de la production au profit de leurs
campagnes militaires. La prise de conscience de la réelle utilité de l’économie -en tant que moyen, et non comme objectif, on le comprend- commença avec Jean-Baptiste
Colbert, ministre de Louis XIV, lorsque celui-ci essaya de suivre le modèle
anglais de production. De là devait venir notre perte.
Cette
omniprésence de la question économique au sein du domaine politique s’observe
encore une fois dans les choix de nos dirigeants.
Le
gouvernement français n’hésite pas à se mettre au service des intérêts
économiques de la France, comme le démontre la visite du premier ministre
Manuel Valls en Arabie saoudite au mois d’octobre 2015. Celui-ci a uniquement
déclaré être satisfait d’avoir obtenu pour « dix milliards d’euros de contrats », esquivant au passage la
question des droits de l’homme au sein de la monarchie saoudienne.
Cette
tendance s’illustre également dans l’abandon du projet initial d’Union
Européenne, devenue exclusivement une structure au service des marchés.
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Le président de la République Française remet la légion d'honneur au prince héritier d'Arabie Saoudite le 4 mars 2016 |
« L’économie est devenue la préoccupation majeure des français, bien devant le terrorisme »
Toutes ces décisions des hommes
politiques sont à la fois la conséquence et le facteur de la volonté des
citoyens, qui considèrent en grande majorité l’économie comme seule source du
bonheur.
Selon une
étude de l’institut de sondage Harris Interactive menée en décembre 2015, 77%
des français ont peur de perdre leur emploi. L’économie est donc devenue la
préoccupation majeure des français, bien devant le terrorisme (47% des français
se sentent menacés par d'éventuels attentats), comme le montre Eric Maurin dans son excellent ouvrage La peur du déclassement : une
sociologie des récessions, dans lequel il affirme que 48% des français
craignent de devenir SDF, alors que ceux-ci ne représentent pourtant que 0,01%
de la population totale.
Pourtant, l’économie
ne fut pas toujours une priorité pour la population occidentale. Si l’on observe
la société française sous l’Ancien Régime, ou bien la société américaine au 19ème
siècle, les intérêts premiers de la nation étaient politiques, et basés sur des
valeurs bien différentes : la protection de la famille, la religion…
« La
perte d’une transcendance a eu en France
un effet catastrophique »
Mais
quelles sont les causes de cette évolution !? Cela semble être en
corrélation avec la déchristianisation de la société française. Non pas qu’une
société athée soit obligatoirement centrée autour de l’économie, mais la perte
d’une transcendance a eu en France un
effet catastrophique. La population, n’ayant plus de réel but dans la vie, se
concentre autour de ce qui n'était auparavant qu'un moyen, l’économie.
Mais en quoi est-ce un problème !?
L’économie est neutre moralement: elle constitue par nature un instrument
et non une fin en soi.
L’œuvre philosophique
de Blaise Pascal, complétée par l’œuvre d’André Comte-Sponville, a laissé pour
héritage le concept d’ordre. On peut ainsi distinguer l’ordre techno-scientifique, l’ordre politique, l’ordre
moral et l’ordre éthique. Il existe une hiérarchie entre ces ordres, qui se complètent et se limitent mutuellement. L'ordre politique devrait donc utiliser et limiter son ordre inférieur, l’ordre techno-scientifique,
composé entre autre par l’économie. Par conséquent, le fait qu’un homme
politique soit soumis à l’économie constitue une absurdité, une barbarie.
Il ne faut
pas négliger les risques d’une économie toute puissante. L’économie étant
devenue une fin en soi, chaque crise que connaîtront les marchés mondiaux, puisque crises il y aura toujours (consulter
à ce sujet l’ouvrage de Krugman :
Pourquoi les crises reviennent-elles toujours?), aura un impact de plus en plus important. Les conséquences, loin de se
limiter à un simple allègement de la bourse de chacun, entraîneront guerres et
soumission permanente à l’économie de marché.
Il n’est pas trop tard
Bien qu’il n’existe pas de solution toute
faite, des pistes peuvent être dégagées.
Une prise
de conscience commune du problème majeur que représente la perversion du statut
de l’économie sera en premier lieu nécessaire à une recherche approfondie de
solutions. Ensuite, l’apparition d’un nouveau système de valeurs, basé non sur
l’argent mais sur un retour aux valeurs traditionnelles, qui ont fait la
grandeur de la France, pourrait permettre à l’économie de retrouver sa juste
place : être un instrument de la poursuite du bonheur, et non la fin
absolue de l’existence humaine.
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