1984.
Le 11 mai, un évènement astronomique rare a lieu : il s'agit du
transit de la Terre depuis Mars, de quoi occuper les scientifiques
pendant un siècle, en attendant le suivant. Le 14 août, une
conférence des Nations Unies sur la démographie se déroule à
Bucarest, fournissant encore un peu plus de matière pour remplir la
page d'un livre d'Histoire-Géo de troisième. Du 2 au 3 décembre,
Bhopal, une importante ville indienne, connaît la plus grave
catastrophe industrielle de l'Histoire. De quoi faire couler de
l'encre. Pourtant, ce n'est pas ce qu'il faut retenir de l'année
1984. Ce qu'il faut en retenir, c'est l'héroisme - presque ridicule
- de Winston Smith au moment où il écrit fébrilement, pour débuter
son journal, les mots suivants : " 4 avril 1984 ".
C'est ce geste hasardeux et génial à la fois qui signe sa naissance
dans le temps : la preuve de son existence, dont il doute encore.
Winston
Smith est le personnage d'Orwell dans un livre qu'il n'est plus
nécessaire de présenter : 1984.
Ce roman a connu un tel succès qu'il a brouillé son message
premier, fascinant et alarmant. On le dit prophétique, visionnaire.
Soit. Mais ce qu'Orwell devine avant tout le monde, ce n'est pas
l'avènement d'un terrifiant monde totalitaire. Si c'était le cas,
il se serait trompé : nous ne vivons pas dans un terrifiant monde
totalitaire. Nous aimons trop la liberté pour ça. Alors de quoi
veut nous protéger Orwell? Il va falloir le relire pour le savoir.
Lecteurs encore trop naïfs, nous nous engageons dans son livre avec
l'espoir d'y trouver à quel moment notre 1984
se manifestera. Mais l'auteur ne le dira pas. En fait, il ne le sait
pas plus que nous. C'est un peu comme si quelqu'un vous disait :
"Demain, il pleuvra". Vous êtes inquiet : vous n'aimez pas
les surprises. La plupart des hommes n'aiment pas être surpris par
le temps, parce que lorsque la nature parvient à leur résister, ils
se sentent impuissants. Alors, le lendemain, vous passez votre
journée à vous demander quand la pluie tombera, afin d'être prêt
le moment venu. Si bien que, aveuglé par votre réflexion stérile,
vous ne voyez pas la pluie tomber. Le totalitarisme s'est emparé de
notre société comme la pluie s'empare du beau temps : discrètement,
malicieusement, naturellement. Et nous ne l'avons pas vu venir.
Il
est temps de porter un regard nouveau sur l'année 1984, année du
cri de Winston Smith, que nous entendons tous les jours, mais que
nous n'écoutons pas. C'est là tout le mystère de 1984.
Un personnage qui n'a jamais existé s'adresse à "des gens qui
ne sont pas nés". Où s'arrête la fiction? Y a-t-il une part
de réel? A ces questions que pose le livre d'Orwell, nous sommes en
mesure de donner des réponses. Elles sont sous nos yeux, mais nous
feignons de ne pas les voir. Parce qu'il est plus facile de "nager
dans le sens du courant que de s'y opposer". Parce que ce
totalitarisme a pris un visage qui nous est familier et dont jamais
nous ne voudrions nous séparer. Parce que nous refusons,
volontairement ou non, de comprendre pourquoi nous sommes les
esclaves de notre temps. Pourquoi Orwell avait raison.
Liberté,
Egalité, Bien-penser
"La
liberté c'est l'esclavage".
Voilà une des devises du Parti, tellement répétée et tellement
justifiée, que l'on finit par y croire. Si la liberté c'est
l'esclavage, alors, conclut le Parti, l'esclavage c'est la liberté.
Pour une raison simple : "Seul, libre, l'être humain
est toujours vaincu. Il doit en être ainsi, puisque le destin de
tout être humain est de mourir." Le
raisonnement du Parti est profondément logique mais profondément
faux. Pourquoi ? Parce que le destin de tout être humain n'est pas
de mourir, mais de vivre. La mort est une issue, pas une destinée.
Le Parti n'avait aucune foi, ni en l'homme, ni en Dieu. Il croyait
seulement au pouvoir de l'homme sur l'homme. Et, malheureusement, ce
pessimisme excessif se retrouve aujourd'hui. Ce refus de la mort se
traduit par un besoin de jouissance, toujours plus malsain, de la
vie. Mais ce que remarque Orwell à propos de la liberté est encore
autre. Il comprend, avant tout le monde, que les relations entre
l'homme et sa liberté vont se compliquer. Qu'ils risquent, à
l'avenir, de former un couple dissonant, où l'homme violera sans
cesse sa liberté parce qu'il ne la comprend pas. Pour être libre,
l'homme pense qu'il doit nécessaiement se libérer de toutes ses
contraintes naturelles : son corps, sa famille; ainsi que ses
contraintes extérieures : l'Etat, la société, autrui. Il pense que
sa liberté se comptera en droits et refuse tous ses devoirs. Voilà
l'homme libéré, le citoyen moderne par excellence. Et voilà le
premier visage du totalitarisme. Nous avons voulu être libres, nous
nous sommes rendus esclaves de notre liberté, et nous sommes
condamnés à l'être. C'est ce qu'Orwell prévoyait lorsqu'il disait
: "La liberté c'est l'esclavage". La
société de consommation que nous avons créée nous a asservis. Ce
n'est pas parce que nous avons besoin du nouvel iPhone que nous
l'achetons, mais c'est parce que l'on nous propose de l'acheter que
nous en avons besoin. Assaillis par le superflu, nous avons perdu le
sens du nécessaire. Notre économie ne marche plus que comme cela.
Le capitalisme mondialiste et libéral en est la manifestation.
Jean-Baptiste Say, économiste français du XIXè, une des plus
grandes références dans la théorie économique classique, disait
: "L'Offre crée toujours sa propre Demande".
Si cette affirmation n'était pas cachée derrière un vocabulaire
économique que nous connaissons mal, nous nous rendrions rapidement
compte de sa folie. Où est notre liberté si nous ne possédons même
plus le droit de désirer? Si la société trouve une réponse avant
même que nous ne ressentions un besoin? Le totalitarisme, tel que
l'entend Orwell, apparaît à partir du moment où le désir, que
l'homme cherche toujours à satisfaire, s'éteint. Parce l'homme
libéré est esclave de son désir, alors que l'homme libre en est
son ami.
Une société totalitaire exige l'égalité des hommes pour faire oublier, à chacun, sa valeur. Stratégie diabolique, stratégie qui fonctionne : sait-on encore ce que vaut l'homme?
Comme
pour tous les régimes totalitaires, dans 1984,
l'égalité n'en est pas une.
Il y a le parti et il y a le reste. Il y a les vainqueurs et il y a
les vaincus. Les vaincus sont plus nombreux et ils sont égaux dans
la défaite. Comme Orwell le constate, par l'intermédiaire de
Goldstein : "Ce que l'on a appelé l'"abolition
de la vie privée" signifiait, en fait, la concentration de la
propriété entre beaucoup moins de mains qu'auparavant, mais avec
cette différence que les nouveaux propriétaires formaient un groupe
au lieu d'être une masse d'individus."
Là encore, l'auteur donne à penser. Cette égalité que nous
revendiquons, que nous défendons, que nous disputons, que nous
inscrivons dans la première ligne de notre constitution, quel sens
lui donne-t-on? Nous souhaitons que les hommes soient égaux entre
eux. Ce point n'est pas discutable. Néanmoins, force est de
constater que nous n'atteindrons jamais une égalité parfaite. Les
hommes ne s'additionnent pas comme des chiffres, on ne peut jouer
avec leur dignité. Il y aura toujours, quelque part, à une certaine
époque, une inégalité. Qu'elle soit économique, sexuelle,
ethnique. Comme disait Jules Renard, "Les hommes
naissent égaux. Dès le lendemain, ils ne le sont plus."
Le monde est inégal parce que les hommes sont différents. C'est ce
qui fait le charme de la vie. Orwell nous demande de nous battre pour
l'égalité, mais pas au sens où nous l'entendons. Si l'homme ne
peut être égal à son voisin, qu'il soit au moins égal à
lui-même. Qu'il puisse, à défaut de dire "nous sommes les
mêmes", proclamer : "je suis moi-même". N'est-ce pas
la plus grande victoire possible que celle qu'on a sur soi? Une
société totalitaire exige l'égalité des hommes pour faire
oublier, à chacun, sa valeur. Stratégie diabolique, stratégie qui
fonctionne : sait-on encore ce que vaut l'homme?
"Le
crime de penser n'entraîne pas la mort, le crime de penser est la
mort." : la naissance de
cette idée dans l'esprit de Winston a déclaré sa perte. Si penser
c'est mourir, il faut ne pas penser pour vivre. Et quoi de mieux,
pour ne pas penser, que d'adopter la pensée d'un autre? "Il
y a quelque chose de pire que d'avoir une mauvaise pensée. C'est
d'avoir une pensée toute faite" disait
Péguy. La pensée toute faite nécessite une démission de la
pensée, donc une négation de son humanité. Les totalitarismes
n'ont jamais souhaité autre chose. C'est d'ailleurs ce que
sous-entend une des devises du Parti : "l'ignorance
c'est la force". Pour
empêcher l'homme de penser, il faut lui ôter l'opportunité de
savoir. Il faut restreindre son savoir grâce à la novlangue, dont
le but non dissimulé est de "rendre littéralement
impossible le crime par la pensée car il n'y aura plus de mots pour
l'exprimer". "Chaque
année, de moins en moins de mots, et le champ de la conscience de
plus en plus restreint". Ce
cas précis mériterait une étude particulière qui mènerait
inévitablement à une comparaison avec les récentes réformes de
l'Education Nationale. Julia Sereni, chercheur associé au CERU, a
analysé avec lucidité le nouveau jargon pédagogiste, produit d'une
idéologie qui s'attaque à la transmission du savoir, dans son très
bon article intitulé Réformes du collège : la novlangue obligatoire De quoi donner raison, encore une fois, à Orwell. Ne pas penser,
c'est bien-penser. C'est "dire des mensonges délibérés
tout en y croyant sincèrement". La
bien-pensance est la maladie de notre société parce qu'elle
anesthésie les consciences. Elle est une nécessité sociale, une
sécurité culturelle. Néanmoins, on ne peut lui opposer la liberté
de penser. Parce que depuis le merveilleux Siècle des Lumières,
dont nous sommes si fiers, nous nous sommes pris à notre propre
piège. Nous défendons tellement la tolérance et le respect que
nous avons peur d'en manquer. La liberté de penser est un danger,
car elle suppose que nous avons aussi la liberté d'avoir une
mauvaise pensée. Alors y a-t-il meilleure échappatoire que la
bien-pensance, derrière laquelle nous nous réfugions et nous crions
à l'intolérance dès qu'une occasion se présente? Ni en 1984 ni en
2016 nous ne sommes parvenus à savoir que penser, de manière à ne
choquer personne. Les propos du Front National choquent autant que
les caricatures de Charlie Hebdo. Y en a-t-il un qui pense "bien"
et un autre qui pense "mal"? Que faut-il choisir pour ne
pas choquer : à gauche, à droite, entre les deux? Rien de tout
cela. Écoutons plutôt Orwell, qui une fois de plus nous apporte une
réponse éclairante : "la liberté, c'est la liberté
de dire que deux et deux font quatre. Lorsque cela est accordé, le
reste suit." En d'autres
termes, notre pensée doit avant tout être une pensée vraie. Nous
devons désirer la vérité, celle qui échappe à Smith parce qu'au
sein du Parti, "le mensonge est toujours en avance
d'un bond sur la vérité"
et celle qui nous échappe parce qu'à défaut de croire en la
Vérité, nous démontrons scientifiquement des vérités qui n'en
sont pas. Si nous retrouvons ce désir de vérité, le reste suivra.
Déconstruire
pour détruire l'homme
La
finalité intrinsèque et humaine du totalitarisme ne nous est pas
connue. Les conséquences du communisme en URSS, du nazisme en
Allemagne, du fascisme en Italie, pour ne citer que les expériences
les plus célèbres – et les plus tragiques -, sont souvent les
mêmes : des morts. Beaucoup de morts. Hommes et femmes, enfants et
vieillards : le même sort. Qu'est-ce qui les réunissait? Pourquoi
un tel massacre? Nous devons étudier les moyens qu'emploie le
totalitarisme pour en comprendre la fin. Et pour cela, rien de mieux
que d'ouvrir 1984.
Qu'y trouve-t-on? Le lent processus de déconstruction de tout ce qui
touche l'homme. De tout ce à quoi il tient. De tout ce qui fait de
lui un homme. Les sentiments, d'abord, étaient visés : "Le
Parti essayait de tuer l'instinct sexuel ou, s'il ne pouvait le tuer,
de le dénaturer et de le salir."
Aujourd'hui aussi, l'amour est sali. Il est réduit à la sexualité,
qui n'est que son expression, et il est sollicité sans cesse. La
pornographie est le "Ministère de l'Amour" de
1984, puisqu'elle excite notre instinct sexuel et lui apporte
toujours une satisfaction. De même, le totalitarisme détruit la
famille, qui est la première pierre de la construction, en éloignant
l'homme de sa nature. Les parents n'ont plus d'utilité puisqu'"on
poussait systématiquement les enfants contre leurs parents".
Et pire encore, on supprime la joie de donner la vie : "la
procréation sera une formalité annuelle, comme le renouvellement de
la carte d'alimentation."
Il ne faut plus construire de famille parce que l'homme s'y épanouit
trop.
Le libéralisme est le nouveau totalitarisme lorsqu'il prône un individualisme irresponsable et un capitalisme conquérant.
Vient
alors une des questions les plus fascinantes du livre qui constitue
la ressemblance la plus frappante avec notre société. Le
totalitarisme détruit la nature humaine. Tout est révélé au
moment où O'Brien, porte-parole du Parti pendant tout le livre,
déclare : "Nous faisons les lois de la nature. Nous créons la nature humaine." Affirmation on ne peut plus paradoxale : l'homme dépend des lois de
la nature, et non l'inverse. Mais O'Brien ne dit pas cela au hasard.
Il est clair dans son esprit qu'il souhaite supprimer la nature. Dès
lors, plus rien n'est naturel, tout est culturel. C'est ce que Paul
Crutzen, prix Nobel de chimie, résumait comme le "passage
d'un monde dominé par la nature à un monde dominé par l'homme".
Aujourd'hui, cette disparition du naturel se ressent, lorsque les
hommes ne parviennent pas à se mettre d'accord sur des questions
comme le mariage homosexuel, l'avortement, l'euthanasie, la
préservation de l'environnement. Nous ne cherchons plus à découvrir
ce qui est légitime, nous nous contentons du fait que nos actions
soient légales. Devant les lois inhumaines dictées par le Parti, le
seul moyen de rester humain était de faire comme cette vieille
femme, honnête et respectée, qui "possédait une
sorte de noblesse, de pureté, simplement parce que les règles
auxquelles elle obéissait lui étaient personnelles."
Faudra-t-il en arriver jusque-là?
La
finalité du totalitarisme paraît maintenant plus claire. Après
avoir déconstruit tout ce qui tenait l'homme en vie, il veut le
détruire, le déshumaniser, l'annihiler. O'Brien ajoute :
"Nous avons coupé le lien entre l'enfant et les parents,
entre l'homme et l'homme, entre l'homme et la femme."
Après l'avoir libéré de toutes ses contraintes, le totalitarisme
veut libérer l'homme de lui-même. C'est ce que Smith finit par
comprendre : "Le but poursuivi était, non de rester
vivant, mais de rester humain."
Les hommes, envoûtés et aveuglés par ce système, n'étaient plus
des hommes, puisque la pensée, le propre de l'homme, leur a été
ôtée. Cette volonté de détruire l'homme a été remarquée lors
des expériences monstrueuses de Staline et d'Hitler. On a donc voulu
la ranger dans les extrêmismes que sont le communisme et le
fascisme. Mais la société dans laquelle nous vivons n'est pas moins
totalitaire pour autant. Si la mort de l'homme en URSS ou dans
l'Allemagne nazie a donné naissance à la masse difforme et
impersonnelle du peuple, elle a vu naître dans nos sociétés
démocratique et libérale un personnage nouveau, encore plus
manipulable et inhumain : l'individu. Voilà pourquoi le libéralisme
est le nouveau totalitarisme, lorsqu'il prône un individualisme
irresponsable et un capitalisme conquérant. Il s'arme d'une
propagande publicitaire toujours plus audacieuse, poursuit l'homme
jusque dans sa propre maison, le surveille et le manipule, comme le
Parti a pu le faire pour le malheureux Winston. Aujourd'hui, il cache
derrière de grands mots : libre-échange, mondialisation, marché,
compétition, citoyen du monde, simples à comprendre, l'idée
beaucoup plus complexe d'un homme nouveau, déraciné de sa patrie,
de sa famille, de sa terre et de lui-même. Cet individu, esclave de
ses besoins, désireux de profit, est peut-être libéré, mais il
n'est pas libre. Orwell avait raison.

De
1984 à 2016, du mythe
à l'Histoire
Que
faut-il croire? Qui faut-il écouter? 1984
reste-t-il un mythe, une utopie dérisoire? Ou y a-t-il une part de
vérité dans le songe biblique que George Orwell fit au lendemain de
la seconde guerre mondiale? L'Histoire nous répond oui. Oui, George
Orwell avait raison. Nous vivons dans le plus terrifiant
totalitarisme jamais connu. Mais ce n'est pas celui que nous
attendions. Il est des plus perfide et malicieux car nous n'en voyons
pas les effets. En fait, ses effets nous plaisent. Ils sont notre
quotidien. Aldous Huxley, dans un livre qui mériterait d'être
autant étudié que celui d'Orwell, Le meilleur des mondes,
analyse avec intelligence cette
fausse situation : "La dictature parfaite serait une
dictature qui aurait les apparences de la démocratie, une prison
sans murs dont les prisonniers ne songeraient même pas à s'évader.
Un système d'esclavage où, grâce à la consommation et au
divertissement, les esclaves auraient l'amour de leur servitude."
Huxley aussi, était un visionnaire. Nous sommes prisonniers d'un
monde sans murs, sans frontières, sans morale à partir du moment où
nos "actions ne nuisent pas à autrui". Nous sommes les
esclaves d'une main invisible, de spéculateurs sans noms, de
bureaucrates européens. Et, malgré tout, nous les aimons. Parce que
nous ne sommes déjà plus des hommes. Nous sommes des individus.
Sans identité et sans destination. Et Orwell nous donne sa propre vision quand Goldstein dit à Smith
: "Vous désirez une image de l'avenir, imaginez une botte
piétinant un visage humain... éternellement." Sommes-nous
la botte qui piétine ou le visage humain qui souffre? Il est temps
de choisir notre camp. Parce que 1984, c'est demain. Tout dépend de
ce que nous écouterons, de ce que nous dirons, de ce que nous
regarderons, de ce que nous ferons demain. Ce qui est fabuleux avec
l'homme, c'est qu'il construit son humanité autant qu'elle le
construit.
1984
finit d'une façon tragique pour
Winston Smith, puisque les dernières phrases du livre sont : "La
lutte était terminée. Il aimait Big Brother."
Notre lutte est celle de Caïn contre Abel, d'un frère contre un
frère, de l'individu contre l'homme. Lequel sommes-nous? Orwell nous
avait prévenu, mais nous ne l'avons pas compris assez tôt. L'heure
du crime de Caïn approche. A vrai dire, il l'a peut-être déjà
tué. C'est pour cela que l'on proclame la "fin de l'Histoire".
Le libéralisme semble avoir vaincu toute autre forme de vie. Comment
le savoir? Demandons-le à Abel. Abel, c'est ce que l'homme n'a pas
encore touché de ses mains sales, c'est l'enfant qui vient de
naître, c'est le silence de la nature et la musique de l'esprit.
Abel, c'est vous. Et que répondra-t-il? Que George Orwell avait
raison.