Voici la deuxième chronique d'Impératif présent.
A l'occasion de récentes interpellations anti-ETA, revenons sur un impératif crucial que nous pose le présent : la résolution du dernier conflit armé du territoire européen.
Depuis la conférence de paix d'Aiete en 2011, et le cessez-le-feu d'ETA la même année, un processus de paix essaie péniblement de se mettre en place. Mais, comme la France s'aligne sur les positions de Madrid quant au conflit basque, le dialogue et les négociations sont rompus, en dépit des efforts des indépendantistes.
A l'occasion de récentes interpellations anti-ETA, revenons sur un impératif crucial que nous pose le présent : la résolution du dernier conflit armé du territoire européen.
Depuis la conférence de paix d'Aiete en 2011, et le cessez-le-feu d'ETA la même année, un processus de paix essaie péniblement de se mettre en place. Mais, comme la France s'aligne sur les positions de Madrid quant au conflit basque, le dialogue et les négociations sont rompus, en dépit des efforts des indépendantistes.
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Les
6 personnalités connues sous le nom des « Six d'Aiete »
présentes lors de la Conférence pour la paix en 2011
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Le
quinquennat de Nicolas Sarkozy nous avait habitués à
l'intranquillité de l'impétuosité. Il y avait, dans les
gesticulations devant les événements internationaux, une sorte de
fascination pour les grandes questions du monde, dans lesquelles
l'implication de France n'est pas passée inaperçue. D'Ingrid
Betancourt à Florence Cassez, de la Tunisie de Ben Ali à la Libye
de Kadhafi, il faut reconnaître qu'alors, les affaires étrangères,
ce n'était pas de tout repos. Pourtant, il est un événement
marquant, au cours duquel l'absence et le retrait de la France ont
été pour le coup autant significatifs que peu remarqués. A
Saint-Sébastien, ville de grande importance située au nord de
l'Espagne, et plus précisément dans le palais d'Aiete, s'est tenue
une conférence en présence notamment du prix Nobel Kofi Annan,
ancien secrétaire général de l'ONU. Celle-ci a abouti à une
déclaration, dite « d'Aiete », dans laquelle les
intervenants ont tenté de cheminer vers la résolution de la
dernière confrontation armée du territoire européen. Ni l’État
espagnol, ni l’État français, n'étaient présents, ni
représentés. C'était en octobre 2011.
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Aurore Martin, en janvier 2013. Photo Gaizka Iroz. AFP |
En
matière de politique internationale, François Hollande a sa
doctrine : soucieux comme toujours de ne contrarier personne (on
l'a vu lors de la non-décision dans l'affaire Leonarda), il a pris
la décision de ne rien décider et de ne toucher à rien, ce qui
est, convenons-en, la meilleure solution de ne pas se faire (trop)
d'ennemis. En novembre 2012, la France a même livré Aurore Martin –
arrêtée paraît-il lors d'un « banal contrôle de police »
– afin d'éviter les tensions avec le gouvernement de Mariano
Rajoy. Il s'agissait de la première citoyenne française à être
remise aux autorités espagnoles dans le cadre du conflit basque.
Elle faisait l'objet d'un mandat d'arrêt européen pour
« terrorisme » après avoir participé à des réunions
publiques et conférences de presse au sein du parti indépendantiste
Batasuna, légal en France comme association culturelle mais interdit
en Espagne car le juge Baltasar Garzon, qui est à l'origine des
poursuites contre Aurore Martin, l'avait illégalisé en 2003
considérant que l'organisation était proche d'ETA.
Il y
a de manière flagrante, une concordance des dates. Le 28 octobre
2012, Manuel Valls assure l'Espagne de tout son soutien dans la lutte
contre la bande terroriste ETA. Le 1er novembre de la même
année, elle est interpellée lors d'un contrôle routier pratiqué
par la gendarmerie. Et, si le ministre de l'Intérieur n'en était
pas l'initiateur, rien n'empêchait François Hollande de prendre
publiquement la parole et de prendre position dans l'affaire Martin.
Il aurait pu aussi dénoncer l'émission et l'exécution d'un mandat
d'arrêt européen au motif de « faits de participation à des
faits de terrorisme, et terrorisme » à l'encontre d'une
ressortissante française qui n'a commis aucun attentat, n'a
commandité aucun attentat, n'a financé aucun attentat – et qui,
en somme, risquait douze
ans d'emprisonnement en Espagne pour n'avoir fait que participer à
des réunions publiques d'une association légale. Le silence
gouvernemental est curieux, d'autant plus que lors de l'arrestation
ratée d'Aurore Martin à Bayonne en 2011, Hollande candidat avait
demandé la « clémence » à Claude Guéant, lequel avait
promis que le mandat d'arrêt sera mis en place.
Aurore Martin donne au début de l'année 2011 une interview alors qu'elle vit retranchée suite à l'émission d'un mandat d'arrêt européen pour "terrorisme".
Aurore Martin donne au début de l'année 2011 une interview alors qu'elle vit retranchée suite à l'émission d'un mandat d'arrêt européen pour "terrorisme".
Arrestation
rocambolesque et avortée d'Aurore Martin en juin 2011, au domicile
bayonnais de sa sœur Emilie.
Selon
Dominique de Villepin, « la diplomatie, c'est une prise de
risque. On s'engage personnellement. On n'accepte pas le fait
accompli, les lignes telles qu'elles sont dessinées ».
Hollande, n'a voulu bousculé personne, et ne redessiné aucune
ligne. Il aurait pu, s'il l'avait souhaité, avoir un mot, exécuter
un geste historique de soutien envers une femme qui n'aspirait qu'à
pouvoir exprimer démocratiquement ses opinions et apaiser la société
basque.
ETA
a commis des actes ignobles. Ils ont tué 829 personnes depuis en
1959. Il n'en demeure pas moins que dans ce qui s'avérait être le
dernier conflit armé d'Europe, le groupe terroriste a cessé. Ils
déposent même les armes. Voilà un cas singulier, peut-être même
inédit : après plus de cinquante ans d'opposition, ce qui en
fait le plus long conflit armé de l'Europe moderne, voilà le diable
en personne qui bat sa coulpe. Et les gouvernements ne saluent pas
cette humilité, ne reconnaissent pas ce geste de modestie. Ce qu'ils
veulent, c'est éradiquer l'indépendantisme basque de la surface de
la Terre. ETA veut rendre les armes ; l'Espagne et la France lui
refusent ce privilège. Ils préfèrent jeter leurs membres – et
pas seulement leurs membres, d'ailleurs, mais aussi l'hydre à
vingt-cinq têtes qui va des militants non-violents à des
journalistes de presse locale – en prison, et rechercher les caches
d'armes par eux-mêmes.
Manuel Valls critiqué suite à l'arrestation d'A.Martin
Les
démocraties rejettent la voix de la négociation puisque, comme
m'objecte Aurore Martin, « Si l'on arrête les négociateurs,
avec qui voulez-vous discuter ? Nous sommes prêts aux
compromis ! ». Très régulièrement, de nouvelles
arrestations ont lieu, comme celle à Ascain, de Mikel Irastorza,
présenté comme l'un des chefs d'ETA. « C'est catastrophique »
résume Aurore Martin, car cet homme fait justement partie de ceux
qui sont en faveur du processus du paix et des
négociations. Autrement dit : le gouvernement français fait
moins d'efforts vers la paix qu'en font des groupes qu'il considère
comme « terroristes ».
En
janvier 2015, suspension du procès d'Aurore Martin après
l'arrestation à Madrid de son avocate.
Quant
aux terroristes eux-mêmes, quoique je condamne leurs actions, comme
le font d'ailleurs un certain nombre de militants basques pour qui le
terrorisme dessert leur cause, il faut accepter que même le pire des
assassins a des droits. Or, près de dix mille personnes incarcérées
ont été victimes de torture (la moitié ont déposé plainte, ne
débouchant jamais ou presque sur une condamnation). La possibilité
de remise de peine pour maladie grave est systématiquement écartée,
alors que la Loi Kouchner (loi dont ont bénéficié Maurice Papon en
2002, ou Nathalie Ménigon en 2008) permet aux détenus dont l'état
de santé est incompatible avec la détention d'obtenir une
assignation à résidence. A titre d'exemple, la Cour d'appel de
Paris a rejeté en 2015 la demande d'Ibon Fernandez Iradi –
responsable de l'arsenal militaire d'ETA – atteint d'une sclérose
en plaques dont le traitement est incompatible avec la prison.
Aucun gouvernement,
ni français, ni espagnol, n'a le courage de se livrer à une
autocritique poussée, indispensable à un réel processus de paix.
Après la fin de l'Apartheid, a été mise en place en Afrique du
Sud, une commission Vérité et réconciliation afin d'enquêter sur
les abus, exactions, violences qui ont été commis, de part et
d'autre. Jamais cela n'a été fait dans le cadre du conflit basque,
alors qu'il s'agit là de la seule possibilité de jeter des bases
solides à une paix durable et juste. Jamais la France n'a souhaité
enquêter sur ses propres pratiques, ni même sur celles de leur
allié, l'Espagne, qui pourtant a organisé de très nombreux
attentats sur le sol français, notamment au sein des groupes
antiterroristes de libération, GAL, entre 1983 et 1987 – date
d'arrivée de Pasqua à Beauvau qui a annoncé une étroite
collaboration avec l'Espagne. « Les terroristes qui ont tué doivent, bien sûr faire leurs années de prison. Mais les policiers qui ont torturé doivent aussi être jugés ! » assure Aurore Martin. Si le terrorisme se définit par la transmission de la peur à des fins politiques en bande organisée, les groupes paramilitaires antiterroristes qui ont tué ne doivent-ils pas payer pour leurs crimes ? José Barrionuevo, ministre de
l'Intérieur entre 1982 et 1988, coupable de malversations
financières dans le but de financer les GAL, et donc responsable de
la mort d'une trentaine de personnes principalement sur le sol
français, a été jugé en 1998 et condamné d'abord à dix ans de
prison pour sa responsabilité dans une affaire de séquestration
d'un citoyen franco-espagnol, connue sous le nom d'affaire Segundo
Marey. Il
n'a effectué que trois mois de prison. Trois petits mois qui
paraissent ridicules pour avoir séquestré un homme pendant dix
jours et détourné de l'argent en vue de financer, depuis le sommet
de l’État, des groupes armés responsables de trente-quatre
assassinats. Trois mois ridicules surtout face aux douze ans que
risquait Aurore Martin pour être apparue publiquement en tant que
membre de Batasuna.
Ridicules aussi face aux 3828 années de prison auxquelles avaient
d'abord été condamnée Inés del Río
Prada, avant d'être libérée en 2013 (après
vingt-six ans de prison), le Tribunal Européen des Droits de l'Homme
ayant considéré que l'utilisation postérieure à une condamnation
de la doctrine Parot (en cours en Espagne depuis 2006) constituait
une atteinte aux articles 5 et 7 de la Convention européenne des
droits de l'Homme.
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Stéphane Etchegaray, caméraman arrêté à Louhossoa, lors de son transfert à Paris. Décembre 2016. |
Il
convient, donc d'apporter un soutien les yeux ouverts à ceux qui
veulent la paix. Non pas un soutien aveugle et systématique, car la
lucidité doit primer. Il y a eu des attentats. Il y a eu des
meurtres. Il y a eu des disparitions. Il y a eu des violences. Mais
ils ont été de part et d'autre. Les États, eux, ont choisi
d'accorder un non-soutien les yeux fermés. Il ne reconnaissent ni
leurs propres erreurs, ni la modestie de leurs adversaires qui leur
lancent un appel. Ils crachent sur la main qu'on leur tend. Ainsi, en
2013, trois parlementaires
socialistes du Pays basque ont rencontré le ministre de l'Intérieur
d'alors, Manuel Valls qui s'était
interrogé :
« Pourquoi
parler de processus de paix puisqu'il n'y a pas de conflit
? »
Il
n'y a pas de conflit, il n'y a pas de confrontation, il n'y a pas de
processus de paix. Tout cela n'existe pas. Et l'indépendantisme
basque, existe-t-il ? Ou
ne sont-ce là que des élucubrations proférées par des provinciaux
un peu chauvins ? Le
pays basque lui-même, existe-t-il ? Cela n'est pas assuré,
puisque n'existent que la communauté autonome espagnole du Pays
basque membre
du Royaume d'Espagne et
le département administratif
français
des Pyrénées-Atlantiques (qui lui-même contient le
Pays
basque et le Béarn, ennemis jurés que l'on tient en un seul bloc
départemental dessiné par des gens qui visiblement n'ont pas pu saisir
les oppositions culturelles, les différences
fondamentales, des frontières invisibles qui
les séparent).
Comment
donner
une reconnaissance à quelque chose qui est nié dans sa valeur, dans
sa richesse, dans son existence elle-même ?
Comment accepter que des gens se battent pour l'obtenir ?
Le
pays basque, et ses sept provinces, n'a aucune existence au yeux des
gouvernants,
qui ne perçoivent pas la tragédie d'une disparition de la culture,
du déracinement, de la mort des traditions, d'une langue qui est en
train petit à petit de se perdre (on a fermé des journaux en
basque, des radios, pour limiter au maximum l'exercice de la langue)
– et que le nationalisme souhaiterait protéger et voir reconnus.
Mais, si Valls pense qu'il n'y a pas de conflit, comment
faire la paix dans une situation où l'un des belligérants nie la
confrontation ?
C'est à peu près ce qu'a repris le récent (et sûrement éphémère)
ministre de l'Intérieur Bruno Le Roux, qui a nié toute existence de
processus de paix lors de l'interpellation de cinq personnalités à
Louhossoa, chargées d'attester de la neutralisation effective d'une
partie de l'arsenal d'ETA. Michel Tubiana, avocat de la Ligue des
Droits de l'Homme, a même accusé le ministère « d'avoir
menti sciemment et volontairement. » Parmi les détenus, une
journaliste de presse locale, un caméraman chargé de filmer
l'opération, mais aussi le militant écologiste non-violent
Jean-Noël Etcheverry. Des gens qui n'ont jamais fait partie d'ETA et
n'ont jamais soutenu d'attentats. Au contraire, ils étaient sur les
lieux pour détruire des armes, il s'agissait d'une démarche
non-violente, antimilitariste et pacifique. S'il n'y a pas de
processus de paix, comme l'a dit Le Roux, quelle est sa
responsabilité quand il met en prison des individus non-violents
chargés de neutraliser des armes ? « Un nouveau coup dur
porté à ETA », s'est-il félicité, comme s'il y avait une
fierté particulière à tirer dans le fait de porter un coup dur à
une organisation qui est elle-même en train de se démanteler. A mon
sens, il y en a encore moins à tirer quand on entrave ce
démantèlement.
Ces
arrestations ont eu lieu bien après ma rencontre avec l'ex-figure de
Batasuna, mais les récentes interpellations et les déclarations du
ministre de l'Intérieur confirment donc ce que j'ai appris de mon
interlocutrice.
Au café des Pyrénées, où les commandos
paramilitaires antiterroristes espagnols ont assassiné un homme lors
d'un attentat en 1985, Aurore Martin prononcera même ces propos,
dont on se demande si vraiment ils ont été tenus par une femme
condamnée pour terrorisme quand ils pourraient sortir de la bouche
d'un prix Nobel de la paix : « Si nous n'arrivons pas au
processus de paix, ce sont les prochaines générations qui prendront
les armes, nos enfants. On ne gagne rien avec les armes, mais nous
pouvons gagner une reconnaissance, grâce à la négociation. Nous
voulons la paix en pays basque. Mais, apparemment, nous sommes les
seuls. »
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