Jérôme Kerviel. Synonyme de malaise
à la Société générale, accent de polémique dans les médias, le procès du trader
qui a fait perdre 4,8 milliards d’euros à la banque française dure toujours.
L’Affaire Kerviel a déchaîné les
passions et posé de graves questions de responsabilité quand la banque a
découvert le gouffre financier ouvert par le trader en 2008. Neuf ans après ce
scandale financier, le personnage de Kerviel fascine toujours.
Affaire encore présente dans les
mémoires, fait divers ahurissant, procès épineux : Christophe Barratier –
réalisateur des Choristes – a utilisé
tout cela dans un long-métrage riche en enseignements, restituant le quotidien des
dieux de l’argent qui œuvrent sans relâche dans les salles de trading pour
faire fonctionner les rouages de l’économie mondiale.
Le temps du film, on fait
l’expérience de la spirale du jeu dans laquelle l’homme est entraîné ; on
subit avec lui l’attrait irrésistible du gain, en assistant en même temps au
basculement d’un être – chute annoncée d’un géant de carton.
Responsabilité
partagée
Barratier reconstitue l’affaire sans inculper l’un ou
l’autre parti : en se contentant de montrer, il souligne la part de responsabilité de chacun et ne tranche pas
une question juridiquement très débattue.
Kerviel
perçoit les dangers de ce qu’il est en train de faire – risquer plus pour
gagner plus. Il aurait pu s’arrêter là : dès lors qu’il continue, sa
responsabilité est en jeu. Au contraire, il choisit de retenter sa chance pour atteindre
le milliard.
Illusion de toute puissance : en entendant « tu es un dieu », « tu es
tout puissant », « tu es une machine à gagner », celui qui a
gravi les échelons à une vitesse record semble perdre la tête. Jérôme n’a pas
même le désir d’employer l’argent « mis sous le carpet » :
l’orgueil réside dans le gain, pas dans la dépense. La pente est glissante,
mais il veut aller toujours plus loin pour prouver aux autres – et se
prouver à lui-même – qu’il en est capable. Il jongle avec les milliards et fait ainsi de son métier un défi sportif auquel il se mesure, en
toute inconscience, comme une machine qui s’emballe : un fou que l’on
n’arrête plus.
En
contrepoint, le film dresse aussi l’impunité de sa société. Car c’est aussi un
employé qui nous est présenté : enfermé dans son rôle de gagnant, condamné
à gagner, poussé au profit. Les supérieurs savent, et on ferme les yeux. La
banque a les mains sales, mais rejette le monstre qu’elle a créé. Elle expose
psychologiquement mais n’est pas en mesure de soutenir l’homme perdu par son
métier. Quand le gouffre est découvert, il est trop tard.
Nous
aurions tous pu faire cette folie
Le regard du
cinéaste met en valeur une personnalité caractérisée par une sorte
d’immaturité. En même temps, il montre la minceur de la frontière entre
folie du jeu et simple envie de gagner, car il nous semble soudain que nous
pourrions tous, tous, être à la place de Jérôme. Nous aurions tous pu faire
cette folie.
![]() |
Arthur Dupont dans le rôle de Jérôme Kerviel |
L’affaire Kerviel interroge notre relation à l’argent et
au travail ; elle montre que derrière l’argent peut se trouver le vide, rongeant
peu à peu notre vie.
Là est bien le problème de Kerviel, et certainement aussi
celui de ses congénères, car ils n’ont que l’argent. Le trader est prisonnier
de la logique de gain qu’il a voulu expérimenter, et devient au fil du film de
plus en plus asservi à l’argent à cause du risque.
L’anecdote
recèle donc une vraie profondeur psychologique : on l’aura compris, le
rapport à l’argent y prend la forme d’un rapport au risque, cultivé par un
milieu dans lequel l’excès constitue la norme – journées passées à courir sans
manger ou presque, soirées arrosées, paris lancés constamment, atmosphère de
surenchère permanente. Paradoxalement, ce poste d’action nécessite une
incroyable gestion du risque et une grande maitrise de soi, dans la mesure où
l’on est responsable d’un argent qui fonde le système financier mondial. Si
l’édifice s’écroule, la structure sociale s’effondre ; pire, ce sont des
vies humaines qui sont en danger.
La fascination
commune à l’égard de cet homme qui s’est littéralement noyé dans l’argent s’explique
parce qu’il représente à lui seul tous nos excès – excès dans les sommes
engagées, excès du risque, excès de travail, excès d’une vie qui s’apparente à
une course folle. Pourquoi ? Pour rien : du vide, un argent auquel il
n’a d’ailleurs jamais touché. Ce rien, c’est l’écran noir de l’ordinateur
désaffecté de Jérôme. Dernière image du film.
Le
capitalisme contre l’homme
Le film met à nu une structure financière qui fonde nos
sociétés et qui, pourtant, est en décalage par rapport au temps de l’homme. On
le voit lorsque Kerviel décroche le jackpot le jour des attentats terroristes
dans le métro de Londres. Les uns meurent, l’autre empoche l’argent. Les lois
du marché sont inhumaines ; c’est la règle impitoyable de la finance.
C’est donc notre rapport au
capitalisme qu’il me semble important d’interroger.
Lorsqu’il va contre l’homme, lorsqu’il élève l’argent comme but absolu, le
système se dérègle.
De même, une vie devient une
spirale intenable lorsqu’elle adopte l’argent pour unique centre de gravité.
De même, la structure d’une
civilisation s’effondre si sa finalité est seulement financière.
On comprend, à la lumière de
cette affaire, à quel point il est urgent de se soucier de cette question financière
pour orienter nos efforts sur le plan politique.
Bien que très au fait des besoins
économiques de la France, un Emmanuel Macron n’a pas de vision globale de la
société. Sa candidature est le miroir d’un corps social réduit à ses rapports
économiques.
Donner à un pays la seule
profondeur de l’argent, c’est le rendre démuni, et même fou.
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